Jordi
JORDI s’est trouvé un langage : une forme unique , assez ludique , composée de 2 lignes droites et 2 lignes courbes identiques deux à deux , souvent utilisée comme empreinte ou volume . Ce pictogramme est donc décliné en 2 et 3 D. et avec des médiums différents : oeuvre sur papier, peinture, sculpture, installation, photographie, design… C’est avec un acharnement tranquille , mais volontaire et assez implacable qu’il travaille à son histoire : celle d’une seule et unique forme : une épure … toujours la même mais rarement identique . Et ce avec cette incroyable capacité d’invention de nouveaux chemins,
pour un concept qu’il souhaite total .En 2001, la Galerie Europ’art avait déjà réalisé avec Jordi, une exposition personnelle de ce travail si particulier.
pour un concept qu’il souhaite total .En 2001, la Galerie Europ’art avait déjà réalisé avec Jordi, une exposition personnelle de ce travail si particulier.
bibliographie
Au fond, la forme …
Signe des temps, le vieux débat sur le fond et la forme a cessé d'exister il y a un moment déjà. Dans le cas de Jordi il s'agit de mettre en avant une problématique plastique dans le cadre d'un référent aisément reconnaissable, ce que nous nommerons une signalétique. L'artiste la désigne lui-même comme une "forme unique, composée de lignes droites et courbes, identiques deux à deux". Cette stylisation extrême acquise au fil des années part d'une représentation taurine liée aux souvenirs personnels du créateur. Un attachement au génie du lieu méditerranéen constitue une référence de l'artiste qui revendique la ligne ondoyante de la mer, les rapports de force entre l'ombre et la lumière, enfin le tracé rigoureux de la géométrie. Sa volonté d'utiliser le caractère naturel du milieu le conduit à privilégier les liens essentiels entre l'Homme et les éléments dans le cadre général d'un échange énergétique entre toutes les forces composant son environnement.
Cette forme rapidement définie, voyons les différentes applications relevant tant de l'utilisation de la surface que de celle liée au volume. L'occupation de l'espace semble un des questionnements récurrents liés à cette forme. Elle passe du statut d'objet unique à celui de multiple, tout en conservant sa spécificité propre. La notion de déclinaison prend ainsi le pas sur celle de la répétition simple et confère un aspect extrêmement polymorphe à l'ensemble de ses productions. De même l'aspect décoratif, au sens Matissien, ne saurait se trouver évacué puisque l'artiste se glisse parfois dans un espace "utilitaire" qui fait que certaines de ses réalisations flirtent avec la notion de design. Les frontières s'estompent et Jordi renoue alors avec cette notion d'art global fonctionnant à partir des différents espaces de présentation.
Usant d'une dichotomie complémentaire (du type vide-plein, intérieur-extérieur, yin-yang, etc.), l'exploration des possibles s'accomplit donc au travers de cette forme. D'un côté elle ouvre sur le monde, de l'autre elle permet à un instant donné de se concentrer sur elle. Point de passage, elle autorise à redéfinir l'espace tout en conservant une forte identité visuelle. La fabrication de ces points de repère semble constitutive d'un maillage destiné à envahir notre espace. En cela Jordi travaille de façon inattendue et non orthodoxe le principe de l'all-over. Il souhaite une expansion sans fin de ses éléments comme l'évoquait Carl Andre, bien que Jordi ne travaille pas seulement sur la planéité. Ses sphères permettent d'appréhender une globalité qui enserre le vide, ainsi ses sculptures n'occupent pas seulement l'espace mais s'en emparent et le transforment.
Le réel et son utilisation se trouvent aussi mis en scène par l'artiste avec sa série des tickets. Partant du fait que ces derniers servant à régir le passage des usagers dans la salle d'attente d'une institution, possèdent une forme presque similaire à celle qu'il utilise, Jordi va composer avec eux et dans l'ordre chronologique de numérotation de vastes tableaux. On se trouve en présence d'une œuvre à la fois ironique et conceptuelle. Elle lui permet de mettre en lumière le côté kafkaïen de toute administration et d'imposer au regard sa signalétique qui se trouve omniprésente dans la trivialité du lieu donné. Sa démarche devient l'inverse de celle du ready-made Duchampien puisqu'il revendique, faussement, une parenté intellectuelle et plastique avec ces fragments de papier.
Le travail sériel accompli par Jordi apparaît comme inépuisable. Polymorphe, l'artiste utilise bien des matériaux comme le fer, le bois, le sel, les canisses, les végétaux, le polystyrène extrudé, … lui permettant de renouveler l'exploration de sa forme première. Sa capacité à retrouver des éléments parfois naturels et parfois industriels, le conduit à faire des choix constitutifs parmi eux. Certaines de ses œuvres s'insèrent dans une reconduction aléatoire bien que maîtrisée du temps comme la série des papiers rouillés ou de la sculpture rouillée. La mise en évidence de ce phénomène au travers de la transformation des œuvres oblige à demeurer humble devant l'inéluctable déclin des choses. La rouille possède à la fois un caractère de ruine mais aussi d'intense beauté. Si elle reflète symboliquement le temps qui passe, elle dispose d'un attrait flamboyant des plus vifs. L'artiste cultive une ambiguïté certaine, liée à sa recherche formelle qui, bien qu'apparaissant rigoureuse comme toute construction de l'esprit, joue avec l'effacement, comme dans sa série d'empreintes de terre. Le caractère fragile de toute réalisation humaine prend pleinement sa mesure et se déploie dans le cadre d'une évanescence programmée.
Cette mise en avant du concept de l'un et du multiple pose bien des questions concernant la singularité de chaque réalisation. En effet, chaque œuvre se trouve multiple et différenciée par le temps et le lieu. Mais tous ces multiples atteignent à nouveau leur unité au travers de ce même temps et lieu. Il demeure donc une forme archétypale, déclinable à l'infini qui ajoute au questionnement du regardeur le sien propre, et qui finalement se réfère à elle-même tout en narrant des histoires au travers de ses métamorphoses.
Christian Skimao , Critique d’Art ( AICA * ) Association Internationale des Critiques d’Art
Texte écrit en mai 2010 , pour le catalogue Musées de Béziers
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Extrait du texte de Bernard Teulon-Nouailles - Critique d’Art - ( octobre 2009 )
Pour l’exposition « La digigraphie à la galerie Europ’art
LA PHOTOGRAPHIE DU DOUBLE SELON JORDI
Pour ceux qui s’imagineraient que Jordi est seulement l’artiste d’une seule et unique forme qu’il décline
en peintre, plasticien, dessinateur, installateur, designer etc., sa production photographique viendra prouver qu’il faut se méfier des estampilles, des idées toutes faites et autres préjugés en tous genres. Pas seulement
à son propos mais sur l’être humain en général qui habituellement ne se limite pas à des cadres étroits
que la superficialité des jugements médiatiques impose.
En fait sa production photographique met l’accent sur un aspect ludique, moins perceptible en apparence dans l’exploration de sa forme stylisée. Les logiciels les plus audacieux d’une part, les moyens actuels d’impression digigraphique de l’autre, ouvrent en effet des horizons nouveaux.
On passe en quelque sorte du manuel, qui relève de l’individuel, au technologique qui relève du collectif.
En dédoublant (ou quadruplant) son motif, des grues en zone urbaine, ou des blocs architecturaux parfaitement identifiables, Jordi obtient de nouvelles images résolument inédites, incroyablement subtiles, quelquefois drôles et qui nous plongent dans une autre dimension. Parfois celle de la SF, des architectures utopiques, du rêve en tout cas. Ainsi, en flânant au bas des immeubles irréels, à l’instar d’un promeneur normal, et qui les perçoit forcément en contre-plongée, Jordi glane-t-il de la matière, à l’actif du besoin naturel d’irréalité qui travaille l’homme, d’aucuns diront de surréalité, de toutes les raisons que nous
avons d’être surpris. Un simple dédoublement, programmé ou expérimenté, du réel serait ainsi à même
de nous faire basculer dans l’irréel. C’est d’autant plus intéressant, dans le cas qui nous occupe, que la photographie elle-même reproduit, et partant double, le réel. Et que donc l’initiative de Jordi met en
quelque sorte en abyme cette propension au dédoublement qui définit l’essence même de cet art,
décidément pas comme les autres.
Au demeurant, notamment avec le dessin ouvragé de la partie de grue capturée par l’appareil, mais aussi dans les cellules complexes et orthonormées des structures pyramidales de La Grande Motte, c’est à un graphisme « sans la mine » que proposent ces images, un graphisme sans la main. La main au clavier vaut bien la main au crayon! D’autant qu’un graphisme suffisamment souple peut nous faire passer du concept
de fonctionnalité stricte dans l’allusion directe à l’habitat, à sa déformation virtuelle.
Ce qui permet ces expériences dont j’ai souligné le caractère ludique, ( le génie n’est que l’enfance
retrouvée à volonté…), ce qui motive ces dédoublements et dédoublements au carré, c’est le recours
à la symétrie. Eh quoi, n’avons-nous pas deux yeux ? Et les lois du visuel ne nous ont-elles pas appris la quadrature du chiasme optique ? Ici encore il faut voir dans la symétrie comme la projection sur l’image
de cette évidence à laquelle nous ne songeons pas toujours : pour voir une image la nature nous a donné
deux yeux. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe avec les images de Jordi : elles sont, jamais trois sans deux,
le produit d’une dualité.
Il y a plus : dans certaines de ses photos de plage, d’apparence divisionniste ou pointilliste, souvent floutées
et recourant à l’usage de filtres adéquats, l’écart se réduit tellement entre la peinture et la photo
que l’on peut hésiter sur la nature de ce que l’on voit. Juste retour des choses quand on sait que les postimpressionnistes en particulier ont entrepris leurs expériences en ayant justement la photo-impression
en tête comme concurrente de la peinture dans la reproduction du réel. Toujours est-il que la dimension picturale, à l’instar de la dimension graphique, est patente dans ce travail photographique. Certains clichés
sont pris en plongée, ce qui est normal si l’on songe que le peintre travaille le plus souvent à l’horizontale
avant de redresser la toile ou la feuille sur le mur. Au demeurant les personnes photographiées, redressées
dans une position murale inhabituelle, donnent l’impression qu’elles pourraient glisser hors du cadre
et donc s’émanciper de la référence au tableau. Et justement la photographie ne confirme pas la propension matissienne à jouer avec la planéité de la surface ? Jordi retrouve ici l’un des fondements de la modernité
en peinture. L’image, avant tout ce que l’on veut y voir représenté, est d’abord un plan, et comme disait
l’autre, un ensemble de couleurs, en un certain ordre assemblées. La photo est aussi un plan : c’est même
pour ça que la photo et la réalité, corporelle et soumise au relief, ça fait deux.
Enfin, certaines photos prises du côté de Sète ou des rizières de Camargue, ou du côté des Gaudi de Barcelone, aboutissent à des propositions radicalement abstraites et donc essentiellement picturales.
D’autant que l’agrandissement du format leur prête les dimensions d’un tableau traditionnel.
Et puis, à bien y regarder de plus près, des visages, des corps même, se laissent deviner qui ajoutent à ce travail une note à la fois magique et fantastique. Cela n’est guère étonnant si l’on songe que la photo c’est avant tout l’art de révéler ce qui à l’œil nu ne saurait se percevoir. Qu’elle suppose donc quelque peu une part de mystère.
De tout cela ressort une impression de richesse et de diversité, bien que la répétition du même dans le jeu
de symétrie prouve une certaine constance dans la compulsion à la répétition, soulignée dans le recours à son motif emblématique, prétexte à toutes les variations possibles, de la plus simple à la plus monumentale, de la
plus picturale à la plus architecturale, et de la sculpture au design. Elle prouve qu’à l’instar de la photographie telle qu’il entend la pratiquer, depuis plus de vingt-cinq ans, Jordi est un homme double.
Il ne tient qu‘à lui qu’il ne se dédouble encore, sans doute en s’occupant un jour aussi d’images en mouvement
ou qui sait en 3D ? Ou qui seront inventées dans les dix prochaines années.
Signe des temps, le vieux débat sur le fond et la forme a cessé d'exister il y a un moment déjà. Dans le cas de Jordi il s'agit de mettre en avant une problématique plastique dans le cadre d'un référent aisément reconnaissable, ce que nous nommerons une signalétique. L'artiste la désigne lui-même comme une "forme unique, composée de lignes droites et courbes, identiques deux à deux". Cette stylisation extrême acquise au fil des années part d'une représentation taurine liée aux souvenirs personnels du créateur. Un attachement au génie du lieu méditerranéen constitue une référence de l'artiste qui revendique la ligne ondoyante de la mer, les rapports de force entre l'ombre et la lumière, enfin le tracé rigoureux de la géométrie. Sa volonté d'utiliser le caractère naturel du milieu le conduit à privilégier les liens essentiels entre l'Homme et les éléments dans le cadre général d'un échange énergétique entre toutes les forces composant son environnement.
Cette forme rapidement définie, voyons les différentes applications relevant tant de l'utilisation de la surface que de celle liée au volume. L'occupation de l'espace semble un des questionnements récurrents liés à cette forme. Elle passe du statut d'objet unique à celui de multiple, tout en conservant sa spécificité propre. La notion de déclinaison prend ainsi le pas sur celle de la répétition simple et confère un aspect extrêmement polymorphe à l'ensemble de ses productions. De même l'aspect décoratif, au sens Matissien, ne saurait se trouver évacué puisque l'artiste se glisse parfois dans un espace "utilitaire" qui fait que certaines de ses réalisations flirtent avec la notion de design. Les frontières s'estompent et Jordi renoue alors avec cette notion d'art global fonctionnant à partir des différents espaces de présentation.
Usant d'une dichotomie complémentaire (du type vide-plein, intérieur-extérieur, yin-yang, etc.), l'exploration des possibles s'accomplit donc au travers de cette forme. D'un côté elle ouvre sur le monde, de l'autre elle permet à un instant donné de se concentrer sur elle. Point de passage, elle autorise à redéfinir l'espace tout en conservant une forte identité visuelle. La fabrication de ces points de repère semble constitutive d'un maillage destiné à envahir notre espace. En cela Jordi travaille de façon inattendue et non orthodoxe le principe de l'all-over. Il souhaite une expansion sans fin de ses éléments comme l'évoquait Carl Andre, bien que Jordi ne travaille pas seulement sur la planéité. Ses sphères permettent d'appréhender une globalité qui enserre le vide, ainsi ses sculptures n'occupent pas seulement l'espace mais s'en emparent et le transforment.
Le réel et son utilisation se trouvent aussi mis en scène par l'artiste avec sa série des tickets. Partant du fait que ces derniers servant à régir le passage des usagers dans la salle d'attente d'une institution, possèdent une forme presque similaire à celle qu'il utilise, Jordi va composer avec eux et dans l'ordre chronologique de numérotation de vastes tableaux. On se trouve en présence d'une œuvre à la fois ironique et conceptuelle. Elle lui permet de mettre en lumière le côté kafkaïen de toute administration et d'imposer au regard sa signalétique qui se trouve omniprésente dans la trivialité du lieu donné. Sa démarche devient l'inverse de celle du ready-made Duchampien puisqu'il revendique, faussement, une parenté intellectuelle et plastique avec ces fragments de papier.
Le travail sériel accompli par Jordi apparaît comme inépuisable. Polymorphe, l'artiste utilise bien des matériaux comme le fer, le bois, le sel, les canisses, les végétaux, le polystyrène extrudé, … lui permettant de renouveler l'exploration de sa forme première. Sa capacité à retrouver des éléments parfois naturels et parfois industriels, le conduit à faire des choix constitutifs parmi eux. Certaines de ses œuvres s'insèrent dans une reconduction aléatoire bien que maîtrisée du temps comme la série des papiers rouillés ou de la sculpture rouillée. La mise en évidence de ce phénomène au travers de la transformation des œuvres oblige à demeurer humble devant l'inéluctable déclin des choses. La rouille possède à la fois un caractère de ruine mais aussi d'intense beauté. Si elle reflète symboliquement le temps qui passe, elle dispose d'un attrait flamboyant des plus vifs. L'artiste cultive une ambiguïté certaine, liée à sa recherche formelle qui, bien qu'apparaissant rigoureuse comme toute construction de l'esprit, joue avec l'effacement, comme dans sa série d'empreintes de terre. Le caractère fragile de toute réalisation humaine prend pleinement sa mesure et se déploie dans le cadre d'une évanescence programmée.
Cette mise en avant du concept de l'un et du multiple pose bien des questions concernant la singularité de chaque réalisation. En effet, chaque œuvre se trouve multiple et différenciée par le temps et le lieu. Mais tous ces multiples atteignent à nouveau leur unité au travers de ce même temps et lieu. Il demeure donc une forme archétypale, déclinable à l'infini qui ajoute au questionnement du regardeur le sien propre, et qui finalement se réfère à elle-même tout en narrant des histoires au travers de ses métamorphoses.
Christian Skimao , Critique d’Art ( AICA * ) Association Internationale des Critiques d’Art
Texte écrit en mai 2010 , pour le catalogue Musées de Béziers
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Extrait du texte de Bernard Teulon-Nouailles - Critique d’Art - ( octobre 2009 )
Pour l’exposition « La digigraphie à la galerie Europ’art
LA PHOTOGRAPHIE DU DOUBLE SELON JORDI
Pour ceux qui s’imagineraient que Jordi est seulement l’artiste d’une seule et unique forme qu’il décline
en peintre, plasticien, dessinateur, installateur, designer etc., sa production photographique viendra prouver qu’il faut se méfier des estampilles, des idées toutes faites et autres préjugés en tous genres. Pas seulement
à son propos mais sur l’être humain en général qui habituellement ne se limite pas à des cadres étroits
que la superficialité des jugements médiatiques impose.
En fait sa production photographique met l’accent sur un aspect ludique, moins perceptible en apparence dans l’exploration de sa forme stylisée. Les logiciels les plus audacieux d’une part, les moyens actuels d’impression digigraphique de l’autre, ouvrent en effet des horizons nouveaux.
On passe en quelque sorte du manuel, qui relève de l’individuel, au technologique qui relève du collectif.
En dédoublant (ou quadruplant) son motif, des grues en zone urbaine, ou des blocs architecturaux parfaitement identifiables, Jordi obtient de nouvelles images résolument inédites, incroyablement subtiles, quelquefois drôles et qui nous plongent dans une autre dimension. Parfois celle de la SF, des architectures utopiques, du rêve en tout cas. Ainsi, en flânant au bas des immeubles irréels, à l’instar d’un promeneur normal, et qui les perçoit forcément en contre-plongée, Jordi glane-t-il de la matière, à l’actif du besoin naturel d’irréalité qui travaille l’homme, d’aucuns diront de surréalité, de toutes les raisons que nous
avons d’être surpris. Un simple dédoublement, programmé ou expérimenté, du réel serait ainsi à même
de nous faire basculer dans l’irréel. C’est d’autant plus intéressant, dans le cas qui nous occupe, que la photographie elle-même reproduit, et partant double, le réel. Et que donc l’initiative de Jordi met en
quelque sorte en abyme cette propension au dédoublement qui définit l’essence même de cet art,
décidément pas comme les autres.
Au demeurant, notamment avec le dessin ouvragé de la partie de grue capturée par l’appareil, mais aussi dans les cellules complexes et orthonormées des structures pyramidales de La Grande Motte, c’est à un graphisme « sans la mine » que proposent ces images, un graphisme sans la main. La main au clavier vaut bien la main au crayon! D’autant qu’un graphisme suffisamment souple peut nous faire passer du concept
de fonctionnalité stricte dans l’allusion directe à l’habitat, à sa déformation virtuelle.
Ce qui permet ces expériences dont j’ai souligné le caractère ludique, ( le génie n’est que l’enfance
retrouvée à volonté…), ce qui motive ces dédoublements et dédoublements au carré, c’est le recours
à la symétrie. Eh quoi, n’avons-nous pas deux yeux ? Et les lois du visuel ne nous ont-elles pas appris la quadrature du chiasme optique ? Ici encore il faut voir dans la symétrie comme la projection sur l’image
de cette évidence à laquelle nous ne songeons pas toujours : pour voir une image la nature nous a donné
deux yeux. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe avec les images de Jordi : elles sont, jamais trois sans deux,
le produit d’une dualité.
Il y a plus : dans certaines de ses photos de plage, d’apparence divisionniste ou pointilliste, souvent floutées
et recourant à l’usage de filtres adéquats, l’écart se réduit tellement entre la peinture et la photo
que l’on peut hésiter sur la nature de ce que l’on voit. Juste retour des choses quand on sait que les postimpressionnistes en particulier ont entrepris leurs expériences en ayant justement la photo-impression
en tête comme concurrente de la peinture dans la reproduction du réel. Toujours est-il que la dimension picturale, à l’instar de la dimension graphique, est patente dans ce travail photographique. Certains clichés
sont pris en plongée, ce qui est normal si l’on songe que le peintre travaille le plus souvent à l’horizontale
avant de redresser la toile ou la feuille sur le mur. Au demeurant les personnes photographiées, redressées
dans une position murale inhabituelle, donnent l’impression qu’elles pourraient glisser hors du cadre
et donc s’émanciper de la référence au tableau. Et justement la photographie ne confirme pas la propension matissienne à jouer avec la planéité de la surface ? Jordi retrouve ici l’un des fondements de la modernité
en peinture. L’image, avant tout ce que l’on veut y voir représenté, est d’abord un plan, et comme disait
l’autre, un ensemble de couleurs, en un certain ordre assemblées. La photo est aussi un plan : c’est même
pour ça que la photo et la réalité, corporelle et soumise au relief, ça fait deux.
Enfin, certaines photos prises du côté de Sète ou des rizières de Camargue, ou du côté des Gaudi de Barcelone, aboutissent à des propositions radicalement abstraites et donc essentiellement picturales.
D’autant que l’agrandissement du format leur prête les dimensions d’un tableau traditionnel.
Et puis, à bien y regarder de plus près, des visages, des corps même, se laissent deviner qui ajoutent à ce travail une note à la fois magique et fantastique. Cela n’est guère étonnant si l’on songe que la photo c’est avant tout l’art de révéler ce qui à l’œil nu ne saurait se percevoir. Qu’elle suppose donc quelque peu une part de mystère.
De tout cela ressort une impression de richesse et de diversité, bien que la répétition du même dans le jeu
de symétrie prouve une certaine constance dans la compulsion à la répétition, soulignée dans le recours à son motif emblématique, prétexte à toutes les variations possibles, de la plus simple à la plus monumentale, de la
plus picturale à la plus architecturale, et de la sculpture au design. Elle prouve qu’à l’instar de la photographie telle qu’il entend la pratiquer, depuis plus de vingt-cinq ans, Jordi est un homme double.
Il ne tient qu‘à lui qu’il ne se dédouble encore, sans doute en s’occupant un jour aussi d’images en mouvement
ou qui sait en 3D ? Ou qui seront inventées dans les dix prochaines années.
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